Samuel Sufo

Réflexions autour du cirque diplomatique dans le golfe

L’escalade diplomatique en cours dans le golfe persique a suscité la curiosité de l’observateur que je suis. Les événements dans cette partie du globe étonnent à plus d’un titre. Primo dans leur déroulement. Secundo, dans les doléances du front anti-Qatar.

Vue de Dora
Le Qatar s’attire toujours les foudres de ses voisins

 

Petit rappel chronologique

Selon les médias, divers éléments ont conduit à la crise actuelle entre l’émirat qatari et ses voisins. Tout commencerait par un piratage de l’agence de presse officielle du Qatar par une « entité inconnue ». De fausses déclarations auraient donc été attribuées à son émir. Il aurait complimenté l’Iran et apporté son soutien aux Frères musulmans. Ces déclarations sont reprises en boucle dans les médias du golfe. En dépit des démentis du Qatar qui par ailleurs ouvre une enquête pour déterminer les origines du piratage. S’en suit alors une passe d’armes entre les différents ministres des affaires étrangères. Et le 5 juin dernier, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et l’Egypte rompent leurs relations diplomatiques avec Doha. Accusé de soutenir le « terrorisme ».

Cette mesure est suivie par une suspension des échanges terrestres, aériens et maritimes. Des compagnies comme Qatar Airways, Etihad, Fly Dubaï et Emirates annoncent la suspension de leurs vols. Ce n’est pas la première crise dans le golfe. En 2014, l’Arabie Saoudite, les Emirats et Bahreïn avaient rappelé leurs ambassadeurs à Doha. Ces pays lui reprochaient déjà ses liens avec les Frères musulmans et ses ingérences dans les affaires du golfe.

Les doléances du front anti-Qatar

En vue de la désescalade, le front anti-Qatar a émis 13 points. Une liste de conditions auxquelles doit se conformer l’émirat gazier. Si ce dernier s’y pliait, il abandonnerait du même coup sa souveraineté. Des 13 conditions édictées, par les monarchies pétrolières, une seule a retenu notre attention. Il s’agit de la sixième qui intime au Qatar de fermer Al Jazeera et ses stations affiliées. Ceci renseigne à suffisance l’influence des médias sur les relations inter étatiques.

Symbole d'Al Jazeera
La chaîne qatarie serait l’un des facteurs de la crise

 

Basée à Doha, Al Jazeera est lancée en 1996. Elle vise à rompre la mainmise des Saoudiens sur le paysage médiatique international arabe. A briser le contrôle des gouvernements arabes sur l’information nationale. Et donc à libéraliser ce paysage médiatique. C’est l’objectif déclaré par les nouveaux dirigeants qataris. Elle est diffusée dans plus de 40 pays à travers le monde. Principalement du Proche-Orient. Pour près de 50 millions de téléspectateurs. La chaîne s’est illustrée par la diffusion des enregistrements d’Oussama Ben Laden. Et par sa présence lors des bombardements américains en Afghanistan. Elle est par ailleurs la seule chaîne présente sur le théâtre des opérations. Al Jazeera dispose de bureaux dans les pays influents. Et se positionne comme le porte étendard de la politique extérieure de Doha. D’où la volonté de ses voisins de la museler.

Le gouvernement saoudien a annoncé la fermeture de ses bureaux sur leur sol. L’Egypte et les Emirats Arabes Unis ont bloqué l’accès à son site internet. En souhaitant  la fermeture d’Al Jazeera, les monarchies du golfe veulent priver Doha d’un puissant instrument d’influence. Et de contrôle des masses. Il ne fait aucun doute que la chaîne qatarie a atteint le but qui lui était assigné à sa création. Elle l’a même largement dépassé. Car elle jouit dans le monde arabe d’une « véritable hégémonie médiatique ».

Et l’Afrique…?

Le président guinéen Alpha Condé a offert sa médiation pour résoudre la crise dans le golfe. Il agissait également en tant que président en exercice de l’Union Africaine. Il l’affirme dans une lettre au Roi d’Arabie Saoudite datée du 11 juin 2017. Cette initiative peut être louable, même si ce n’est pas où j’attendais un dirigeant subsaharien.

Nos hommes politiques devraient tout mettre en œuvre pour avoir des médias influents. A l’instar des médias occidentaux (RFI, CNN, BBC…) ou du golfe (Al Jazeera, Al Arabiya…) pour ne citer que ceux-là. La gestion d’un pays, des masses passe par le contrôle des flux d’information. Elle est incontournable notamment dans un monde où elle circule avec une vitesse considérable. Il est donc impérieux pour nous Africains de contrôler les informations qui circulent sur le continent. Ceci évitera à nos dirigeants de pleurnicher à tout moment. Surtout lorsque les médias « internationaux » publient des informations à charge.

 


Quand un chef d’Etat appuie sur le bouton ‘’déranger’’ !

La récente interview du Président tchadien Idriss Deby Itno continue de soulever des vagues dans l’opinion publique. Nous voulons poser ici un regard inquisiteur sur les déclarations de l’homme fort de N’Djamena.

Un président très disponible !

Il ne fait aucun doute que le numéro 1 tchadien est toujours disposé à s’adresser à la presse. Contrairement à certains de ses paires d’Afrique Centrale et surtout au président camerounais , surnommé le sphinx en raison de son silence légendaire. Ce dernier constituant à lui seul ‘’35 ans d’énigmes’’. Idriss Deby est également connu comme une personnalité ne faisant pas dans la langue de bois. Une tactique chère aux dirigeants subsahariens. Plus précisément de la partie francophone. Éludant ainsi toute question sérieuse ou renvoyant les réponses au calendrier grec.

L’on se souvient il y a peu, le président tchadien a fait diverses critiques à l’encontre de ses ‘’partenaires’’. Envers les responsables de la campagne foireuse qui a ‘’démocratisé’’ la Lybie. Et face à la question épineuse du FCFA dont même un nouveau-né imagine qu’elle est une monnaie factice. Son interview a donc logiquement aiguisé notre appétit.

La France ! La France ! Et toujours la France !

Répondant à une question sur les relations franco-africaines, le président tchadien émet un vœu pieux. Il affirme : nous devons avoir « désormais des relations amicales basées sur des intérêts réciproques. (…) Nous ne pouvons plus avoir des relations de maître à élève ou de maître à sujet ».  Pour ce qui est du FCFA, il maintient la volonté d’une renégociation des accords monétaires avec Paris. Et estime que la balle est dans le camp des dirigeants africains. Il critique sévèrement la présence de trois Français au conseil d’administration de la BEAC. Ceux-ci détenant même le droit de veto. « Où est notre souveraineté monétaire ? Comment voulez-vous que l’Afrique se construise ?» questionne-t-il. Quand même étonnant pour un chef d’Etat.

Sur la durée au pouvoir et de la limitation des mandats présidentiels, Idriss Deby dégaine : « Je ne suis pas un homme heureux ! Ma jeunesse s’est faite dans la guerre et au sortir de la guerre j’ai cette responsabilité – de gérer le pays ! J’aurais souhaité m’arrêter en 2006 après mon second mandat. J’aurais alors cédé le pouvoir ! La France est intervenue pour changer la constitution ! J’ai dit que je ne voulais pas changer la constitution, mais ils sont passés par leurs ‘’arcanes’’ !» Dixit l’homme fort de N’Djamena. Qui affirme aussi que « Le jour où le peuple tchadien me dira de partir, je partirai » ! Ouf !

La salle d'interview
Le président tchadien et les trois journalistes

Éternelle diversion…

Il faut tout de même relever la franchise ou la sincérité d’Idriss Deby. Il reconnaît dans cette interview avoir fait de très mauvais choix. Surtout dans la gestion de la rente pétrolière, première pourvoyeuse de fonds du pays. Il note également les erreurs, voire la naïveté du gouvernement tchadien dans la conclusion de certains accords concernant le brut. C’est rare de voir un dirigeant d’Afrique Centrale faire ainsi son mea culpa. Chez nous au Cameroun par exemple, quand tout va bien, c’est grâce à la dextérité du Chef de l’Etat. Mais lorsque rien ne marche c’est la conjoncture internationale qui est mise en cause. Même lorsqu’il s’agit de détournement de deniers publics et de corruption.

Sur l’ensemble des points que nous avons relevé, on note que le président Deby vole de diversion en diversion.

  • Sur les relations franco-africaines, si les leaders africains se disent réellement libres et indépendants. Ils savent ce qu’ils doivent faire.
  • Sur la question du FCFA, monnaie dénoncée même par les politiques en France, une révolution n’est pas impossible. Mais elle doit être portée par les dirigeants africains. Sur ce sujet, ils auront toujours le soutien de leur peuple.
  • Sur la limitation des mandats et la durée au pouvoir, une question. « Avez-vous été forcé à vous représenter aux élections » ?

Excellence Monsieur le Président, cette fois, vous avez appuyé sur ‘’déranger’’ !


De l’agriculture au numérique : quelques observations sur les priorités de l’heure au Cameroun

Ranch de Ndawara
Plantation de thé au Cameroun

Dans la lutte contre le chômage et pour l’auto-emploi des jeunes, le gouvernement au Cameroun mise sur le secteur primaire et sur le numérique. Cependant, ce discours soulève diverses interrogations. Notamment l’intérêt porté par les gouvernants sur ces deux secteurs d’activité.

Bilan de l’agriculture 6 ans après le comice d’Ebolowa

En janvier 2012, la presse camerounaise révèle que plus de 700 tracteurs sont abandonnés dans la broussaille à Ebolowa. L’information aurait pu passer inaperçue. Mais il s’agissait de l’une des promesses phares du gouvernement au terme du comice tenu un an plus tôt. Ce dernier avait annoncé la construction d’un complexe industriel d’assemblage de tracteurs. Fruit d’un partenariat avec des investisseurs indiens. Le tollé soulevé par cette découverte a suscité la réaction des autorités. Elles ont aussitôt dépêché une mission sur place afin d’évaluer la situation. Cinq ans plus tard, l’usine est fonctionnelle.

Au terme du comice d’Ebolowa, le secteur primaire est confronté aux mêmes difficultés que par le passé. La principale étant (selon moi) l’enclavement des bassins de production. Situés généralement loin des grands centres urbains, ils sont difficilement accessibles. Surtout en temps de pluie. Cependant, de nombreux Camerounais ont retroussé leurs manches et remuent la terre. Certains n’ont pas attendu le comice pour se lancer dans l’agriculture. Ils diversifient les productions agricoles et boostent les exportations vers les pays voisins (Nigéria, Guinée Equatoriale, Gabon).

La seconde difficulté du secteur agricole que je pourrai relever est le faible niveau de transformation. Or, comme nous le savons, le trésor réside dans l’industrie. Donc dans l’agro-industrie. Celle-ci renvoie aux secteurs parallèles dont le papier, le cuir, le textile, les huiles essentielles, le tabac. Au Cameroun, la majorité des agro-industries est détenue par des investisseurs étrangers. Les locaux ont compris l’importance de ce secteur et s’y lancent. Cependant, les petits agriculteurs ou les producteurs indépendants éprouvent d’énormes difficultés. Ils ne disposent pas du matériel adéquat et de l’expertise nécessaire pour améliorer leur système de production. De nombreuses formations sont offertes dans ce sens, notamment par des experts exerçant dans le privé. La dernière difficulté que j’évoquerai est l’usage des techniques de production archaïques.

Tracteur agricole
La mécanisation de l’agriculture est lointaine

 

L’économie numérique : nouvel eldorado ?

En fin d’année 2015, dans son discours à la nation, le président camerounais incitait les jeunes à s’investir dans le numérique. Il affirmait que le gouvernement mettrait tout en œuvre pour viabiliser ce secteur très prometteur. Comme à l’accoutumée, toute la presse, les hommes politiques et les autres acteurs sociaux se sont rués vers cette expression. ‘’Economie numérique’’ était cuisinée à toutes les sauces. L’on vantait Bill Gates, Mark Zuckerberg, Alain Nteff ou encore Arthur Zang. Le thème a même fait l’objet d’un sujet d’économie pour un concours administratif l’année suivante.

Nul ne doute que le numérique est un secteur d’avenir. Son incidence sur l’employabilité des jeunes, la croissance et les finances d’un Etat ne sont plus à démontrer. L’innovation numérique alimente la dynamique d’innovation dans tous les autres secteurs d’activité. D’où le choix porté sur elle par tous les pays du monde et par ricochet par le Cameroun. Toutefois, certains préalables doivent être pris en compte. Il s’agit tout d’abord de la qualité et du coût de la connexion internet.

Ordinateur portable
Le numérique génère des revenus et la croissance

 

Début 2016, une polémique a secoué le monde d’habitude très calme de la téléphonie mobile au Cameroun. Les compagnies se disputaient l’exclusivité de la licence 4G. Considérée comme l’internet le plus rapide. À grand renfort de spots publicitaires, il fallait convaincre le consommateur. Ce dernier semblait perdu devant ce spectacle. Plus d’un an plus tard, on remarque que la connexion internet n’est pas à la portée de toutes les bourses. En outre, plus on s’éloigne des grands centres urbains, plus elle devient chancelante. Ceci peut être préjudiciable pour les start-ups.

Au Cameroun, on remarque aussi un oubli de la Silicon Mountain. Située à Buéa, au pied du Mont Cameroun, elle est le berceau de l’économie numérique dans le pays. Composée de start-ups, de communautés, de développeurs, elle est incontournable en ce qui concerne le numérique au Cameroun. Mais elle semble ignorée par le gouvernement. Et a subi de plein fouet la coupure de l’internet ordonnée par ce dernier en début d’année. Pourtant, en dotant la Silicon Mountain d’infrastructures et de financements adéquats, les gains seraient importants. On aura plus besoin d’organiser des colloques à coût de milliards pour inciter des investissements étrangers alors qu’on peut les avoir en interne.

Façade d'une industrie
Nous avons plus besoin d’industries que de discours

Voir (un peu) plus loin…

En écrivant ce papier, je n’avais nullement l’intention d’accabler notre gouvernement. Chose très difficile à faire. Je ne saurai omettre les solutions aux problèmes soulevés plus haut. Nous avons plus que besoin d’usines d’assemblage d’ordinateurs et autres matériels électroniques. Ce qui accentuera la lutte contre le chômage et favorisera le transfert de technologie. Vœu pieux dans le discours des présidents africains. On évitera aussi la sortie des capitaux pour l’achat du matériel électronique et des composants qui seront disponibles sur place. Les polémiques nées de l’offre d’ordinateurs portables aux étudiants à travers un partenariat chinois n’auront plus lieu d’être.

La mesure sus-évoquée peut également être appliquée au secteur agricole. Il ne faudra cependant pas commettre les mêmes erreurs qu’ailleurs. Les conséquences de l’agriculture intensive sont observées dans les pays agricoles. L’usage des engrais et des pesticides montrent de plus en plus leur limite. Leur impact sur la santé des humains et sur la nappe phréatique a été démontré. Il est donc nécessaire de favoriser une agriculture respectueuse de l’écosystème. Une agriculture qui en outre nourrira l’industrie et sortira les seigneurs de la terre de la paupérisation.


A la découverte des blessés de guerre au Cameroun

Un blessé de guerre en larme
Un homme en larmes

Dans mon précédent papier https://samuelsufo.mondoblog.org/2017/05/18/linfluence-negative-pantheres-jeunes/ , j’évoquais au dernier paragraphe les ‘’blessés de guerre’’ . L’expression est certes commune pour beaucoup d’entre vous, mais il est important de la situer dans notre contexte. Les blessés de guerre sont des personnes qui ont connues des déceptions en amour. Déceptions qui sont multiples et diverses. Celles-ci sont très souvent douloureuses et laissent des tâches plus ou moins indélébiles. Ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas les déceptions en tant que telles. Mais la conception ‘’matérialiste’’ de l’amour.

Casque d'un blessé de guerre
Casque de soldat au milieu de roses

L’amour comme un champ de bataille

L’un des sujets de conversation qui fait toujours crépiter les claviers des internautes dans mon pays c’est l’amour. Si l’on oriente les débats sur la gratuité ou non de celui-ci, les protagonistes se déchaînent. Mêlant parfois émotion, humour et expérience. Généralement, ces disputes tournent au pugilat de la gent féminine. Cette dernière se défendant tant bien que mal face aux arguments adverses.

Mais il est un fait incontestable chez nous : l’amour est devenu un champ de bataille. Lieu où s’affrontent les deux tourtereaux et leur entourage qu’on peut qualifier de ‘’staff technique’’. Et si l’on fait recours à un champ de bataille ; l’intérêt, l’objet de l’affrontement est incontournable. Du temps de nos aïeux, l’amour était gratuit, ‘’njôôh’’. Le seul intérêt dans une relation était le bonheur du couple, au prix des sacrifices consentis par les deux partenaires. Au 21ème siècle, tout ceci a changé. L’intérêt certes demeure, mais il est tout autre. On aime pour les biens matériels, pour le compte bancaire, bref pour notre satisfaction personnelle.

Pendant longtemps, on a accusé les femmes de faire dans ce registre. C’étaient des accusations à tort car l’on se rend compte qu’elles ont été rattrapées depuis par les hommes. Ces derniers sont de véritables caméléons au verbe mielleux. Tout comme les dames, ils ne lésinent sur aucun moyen pour atteindre leur but dans une relation. L’amour devient donc une scène de combat où chacun des soupirants fourbit des armes démesurées pour sortir gagnant. Certains empruntent de l’argent et des vêtements. D’autres se décapent et deviennent méconnaissables. Dans des mises en scène subtiles et ubuesques quelques fois, les amoureux se complimentent, ricanent. Sachant pertinemment ce qui est en ligne de mire.

Caractéristiques du blessé de guerre

La patience

C’est la première et la caractéristique fondamentale des blessés de guerre. Comme des fauves étudiant leurs proies de loin, ils ont calmes, posés. Ils sont persévérants, savent faire face à l’adversité et supportent toutes les humiliations. C’est une vertu très appréciée chez eux et qu’ils ne cessent de cultiver au gré des expériences.

L’infidélité

Les blessés de guerre sont par essence infidèles. Prenant appui sur leur passé, ils mènent une double, voire une triple vie. Ainsi, les hommes multiplient les conquêtes et deviennent de véritables ‘’Don Juan’’ ou des ‘’Mongo Faya’’. Ils ‘’tirent sur tout ce qui bouge’’ selon une formule camerounaise. Les dames quant à elles se procurent des ‘’roues de secours’’. C’est-à-dire un ou plusieurs hommes prêts à remplacer leur partenaire en cas d’absence de ce dernier. C’est de cette façon que de nombreux Camerounais justifie leur infidélité. Cette dernière devenant presque un phénomène de société.

La méfiance

Les blessés de guerre sont très méfiants. Ils doutent de tout en ce qui concerne l’amour et se fient rarement à leur conjoint. Leur adage favori est : « La confiance n’exclut pas la méfiance ». Phrase qu’ils répètent comme un verset biblique lorsqu’on leur fait la cour. Par conséquent, lorsque vous être en couple avec un blessé de guerre, vous êtes surveillé. Tous vos pas, vos gestes sont scrutés à la seconde près. Vos appels, vos messages sont passés au peigne fin. Et en cas de forte suspicion, vous subissez un interrogatoire musclé, semblable à ceux réalisés par les services de sécurité.

La mesquinerie

Même s’ils essaient de camoufler ce défaut, la mesquinerie est la marque de fabrique des blessés de guerre. Ils sont très chiches. Ne tentez pas un seul instant de leur lancer ça au visage car ils ne supportent pas de l’entendre. Ils n’offrent jamais de cadeau. Ils attendent, attendent et attendent encore que vous le fassiez. Et si vous omettez de le faire, c’est une litanie de reproches qui atterrit sur vous. « Jean, depuis que nous sommes ensemble, tu ne m’as jamais fait de cadeaux » ! « Yvette, tu dis que tu m’aimes, mais tu ne m’as jamais rien donné » ! Ou alors, votre nom est trainé dans la boue chez des amis. « Le gars-là est dur comme le fer, un chichard comme ça » ! « La fille-là est avare, je regrette même d’être avec elle hein » !

Le désir de vengeance

La devise des blessés de guerre c’est la loi du talion. Leur obsession est de répliquer ce qu’ils ont subi sur quelqu’un d’autre. Ceci s’explique par le fait qu’ils se considèrent toujours comme des victimes ; même s’ils sont fautifs. Ils se disent dans leur for intérieur : « Il/Elle va me sentir. Pas ce que l’autre là m’a fait la dernière fois » ! Ils conçoivent de ce fait un plan (diabolique) pour assouvir leur vengeance. Et au cas où celui-ci ne fonctionnerait pas, ils insistent, insistent. Et finissent par péter les plombs lorsqu’ils font face à un partenaire rusé à la Bugs Bunny ou le geococcyx dans les cartoons américains.


L’influence (négative) des panthères sur les jeunes de mon pays

Les panthères
Très discrètes, les panthères sont vicieuses

Ah ! Les panthères ! Pas un jour sans parler ou entendre parler d’elles !
Un beau matin de mars dernier, alors que les rayons du soleil commençaient à frapper mon cuir chevelu, je me suis assis au comptoir de la vendeuse de beignets de mon quartier yaoundéen. C’est un rituel pour les habitants du coin. Prendre son beignet-haricot-bouillie avant de vaquer à ses tâches quotidiennes. C’était un samedi et l’endroit était bondé de monde. Ce qui n’est pas le cas les autres jours de la semaine.

Il y avait là des adolescentes communément appelées « petites sœurs » dans le jargon local. Elles parlaient de l’amour, sujet de conversation qu’elles tiraient dans tous les sens. J’ai failli avaler mon beignet chaud de travers lorsque l’une d’elle a déclaré :

« Tantine Sidonie nous dit souvent de ne pas faire confiance aux hommes. Qu’ils sont méchants et dangereux » !

Avant de continuer son matraquage de la gent masculine :

« Elle dit qu’ils font souffrir les femmes. Que nous devons leur montrer le feu ! »

Comme moi, tous les mâles présents étaient atterrés par ces élucubrations. Mais nous sommes restés calmes. L’adolescente a décrit sommairement sa « Tantine Sidonie », ainsi que l’entourage de cette dernière. Il n’y avait aucun doute : c’était des panthères, comme les ont dépeint Florian Ngimbis et Ecclésiaste Deudjui il y a quelques années sur cette même plateforme.

Hommage aux panthères

Avant toute chose, je voudrais rendre un hommage mérité aux panthères. Je sais! Vous vous demandez pourquoi leur faire un tel honneur. Je m’explique. Les panthères font un véritable travail de Sisyphe. Faire craquer un homme, se faire offrir des cadeaux chics, le ruiner et quelques fois détruire sa famille, tout ceci en un temps relativement court. Et le cycle recommence avec quelqu’un d’autre. Et ainsi de suite… Il faut en être capable.

Les panthères ont une capacité d’adaptation et de mutation rarement observée chez des êtres humains. Quelque soit l’homme qu’elles veulent, elles le feront succomber. « Qu’il monte ou qu’il descende » ! Elles sont de grandes consommatrices d’argent et de luxe. Elles ont généralement une grande gueule. La langue de bois n’est pas leur affaire. C’est le jour où l’une d’elle t’engueule que tu peux regretter d’être venu au monde. Enfin, comme le phœnix, elles renaissent de leur cendre. Autrement dit, elles savent rebondir en dépit des échecs cuisants ; d’où elles ressortent ragaillardies. Pour tout ceci, elles méritent plus que jamais notre respect.

Les panthères
Les panthères sont très charismatiques et enviées

 

Les panthères, nouveaux modèles de réussite

Les quelques minutes de causerie des adolescentes que j’ai évoqué plus haut sont très édifiantes. L’éclosion de ‘’bébés panthères’’ n’est pas un fait de hasard chez nous. Jadis, nos gamines avaient pour modèles Elisabeth Tankeu, Yaou Aïssatou, Marie-Madeleine Fouda ou encore Françoise Mbango. Ça, c’était dans le passé. Avec l’influence de la culture occidentale et l’aide des télénovelas, leurs icônes sont devenues leurs voisines, cousines ou « grandes-sœurs ». Celles-ci les polluent le cerveau avec leurs escapades en boîte de nuit, dans les hôtels huppés ou dans les cités balnéaires. On assiste dès lors à l’essor de nouvelles références dont je préfère taire les noms. Elles sont célébrées sur Facebook. Vénérées sur WhatsApp. Adulées sur Snapchat. Déifiées grâce aux ressources financières qu’elles possèdent et dont l’origine est problématique.

Moulées dans un tel environnement, les jeunes filles craquent littéralement. Sous l’influence de leurs aînées, elles veulent brûler les étapes. Elles veulent rapidement posséder le téléphone ou la tablette dernier cri. Elles rêvent de devenir célèbres. Quels que soient les moyens et les conséquences. Et quand bien même celles-ci surviennent, elles rebondissent comme leurs aînées.

Chères panthères, encadrez nos enfants autrement !

C’est un secret de polichinelle que de dire que les Camerounaises ne croient plus en l’amour. Quand vous leur parlez de romantisme, elles répondent sèchement : « ça c’était avant » ! Très peu d’adolescentes connaissent les poèmes de Patrice Kayo et de Paul Dakeyo. Lorsque vous leur déclarez votre flamme, elles répliquent : « c’est ça qu’on mange » ? Nos gamines lient l’amour à l’argent et aux biens matériels. C’est l’une des plus grandes dérives de notre société.

Je peux comprendre que la majorité de nos panthères soient des « blessées de guerre ». Mais de grâce, qu’elles n’incitent plus nos adolescentes à leur emboîter le pas ! Nous avons tous besoin de quelqu’un pour nous tenir la main. Pour nous relever quand tout va mal. Pour nous indiquer le chemin dans nos doutes. C’est le rôle que doivent jouer les panthères auprès de nos adolescentes. Elles doivent leur conseiller des modèles. De lire. Se cultiver. Se former. Et d’aimer.

Cessez de ‘’panthériser’’ nos enfants !